Hôpitaux à l’agonie : un crime prémédité

Les hôpitaux de proximité meurent à petit feu : déficits monstrueux impossibles à résorber, personnel en grande souffrance, malades traités à la chaîne et parfois maltraités. L’hôpital de Bayeux n’est pas épargné. En face, le gouvernement et les Agences Régionales de Santé brandissent le « trou de la Sécu » et ne proposent que rationalisations, optimisations, réductions d’effectifs et fermetures de lits, de services et d’hôpitaux.

L’une des plus grandes richesses de la France était son système de santé. Pouvoir se faire soigner près de chez soi, par des professionnels compétents, sans avoir à se poser la question du coût, est un luxe qui nous paraît banal. Mise en place à la sortie de la seconde guerre mondiale, la sécurité sociale fait aujourd’hui partie du paysage. Ce système basé sur la solidarité fut longtemps très efficace, peu coûteux et à l’équilibre budgétaire. Or il est en train de sombrer.

Comme vous, j’ai longtemps cru au « trou de la Sécu ». Mais ce mystérieux trou ne vient pas d’une frénésie de prescriptions de la part des médecins ou d’un abus de consultations de la part des patients. ll est artificiel et a un objectif clairement énoncé par l’ancien vice-président du Medef Denis Kessler : “Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil National de la Résistance !”.

Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage. Les gouvernements successifs “bien conseillés” par les disciples de Kessler organisent la casse programmée de la sécurité sociale : gel du taux de cotisation patronale et des cotisations salariales des années 70, mise en place de la tarification à l’activité (T2A) en 2004, exonérations de cotisations sociales, etc.

Ces décisions politiques au service de l’idéologie capitaliste ont pour objectif de confier notre santé aux entreprises privées. Pourquoi croyez-vous que la société de conseil de François Fillon a perçu environ 200 000 euros sur deux ans de la part de l’assureur Axa ? Le budget de la sécurité sociale, c’est 800 milliards d’euros, c’est-à-dire deux fois le budget de la France. Les assurances privées et les multinationales de la santé lorgnent sur ce trésor des français qui passe sous le nez des actionnaires.

Le champ lexical utilisé en dit long sur l’objectif de privatiser doucement mais sûrement le secteur de la santé : les cotisations sont appelées  « charges », le système de santé est accusé de « coûter », sans oublier l’affreux et inquiétant « trou de la Sécu » qui ne cesse de se creuser.

La vision comptable et la gestion productiviste ont donc pris le pas sur la mission de “service public”. Pourtant, soigner les gens en respectant le serment d’Hippocrate ne peut pas être directement rentable : la santé n’est pas une marchandise. Le paiement à l’acte, avec des actes de moins en moins rémunérés, aboutit à la nécessité de “faire du volume”. Le personnel, souvent en sous-effectif, se retrouve à devoir être de plus en plus “productif”. Le nombre d’arrêts maladies, de burn-outs, de suicides au sein du personnel soignant explose. La menace de la suppression de lits aboutit à une gestion parfois absurde des malades. L’épée de Damoclès de la fermeture des services les moins rentables pousse à la fraude et à la surcote des actes. L’image négative qui en découle amène les patients à aller voir ailleurs, dans le privé.

Cette situation catastrophique n’est pas une fatalité. Il suffirait de faire d’autres choix politiques pour retrouver une situation saine et durable.
Mener une réforme institutionnelle pour revenir aux valeurs fondamentales originelles de 1945. Car la « crise » de notre sécurité sociale est aussi une crise démocratique.
Réorienter les budgets pour moins “réparer, guérir et assister”, et plus “prévenir, accompagner et former à la gestion du risque”.
Lutter contre la fraude aux cotisations patronales qui en 2012 aurait atteint 20 à 25 milliards d’euros alors que le déficit de la sécurité sociale était de 16 milliards.
Choisir une vision politique non marchande de la santé, résister aux puissants lobbies et refuser d’envisager l’option des assurances privées comme une solution acceptable à la crise actuelle.

La médecine fait chaque jour de fabuleux progrès. Mais à quoi nous servira le nouveau traitement révolutionnaire qui pourrait nous sauver la vie, si nous n’avons pas les moyens de nous le payer ? Prenons conscience de la chance que nous avons de vivre dans un pays qui a eu l’intelligence de se doter d’un système de santé de proximité, juste et solidaire. Comprenons qu’il ne fonctionnera que si nous maintenons un réseau dense de professionnels et d’établissements de santé. Alors battons-nous pour les conserver.